Mardi 31 octobre.
7 heures. Voilà qu’ils ont réveillé la batterie à la bombarde ! Je ne savais pas que dans un local confiné, cet instrument pouvait avoir une telle puissance. Autant dire que le sonneur fut applaudi par des cris et qu’il s’éclipsa sitôt son forfait commis.
Dehors, surprise : le temps est couvert. 7 heures 30, il commence même à pleuvoir. Nous sommes en mer d’Alboran.
8 heures. À brosser le pont, puis cuivres sur la dunette jusqu’à 9 heures.
Le joueur de bombarde matinale, c’est Yann, le grand brun qui fait son service militaire sur le Belem. Si grand qu’il doit marcher voûté dans les passavants. On dit qu’il est élève officier de Marchande. C’est pour lui bientôt la quille. Il joue de la flûte irlandaise et du biniou. Il est originaire d’un bled à l’ouest de Lorient dont j’ai oublié le nom, du côté du Pouldu je crois.
9 heures 30. Couché. Une heure de sommeil, c’est toujours ça de pris. Enfin, si j’arrive à m’endormir. Mes collègues sont assidus aux cours de nav avec le second. Je n’avais jamais fait l’école buissonnière jusqu’à aujourd’hui…
11 heures. Réveillé par la cloche du premier service. Je rejoins la dunette. Le temps s’est un peu éclairci. Nous allons passer au large de Marbella. Le second lieutenant, plutôt taciturne, s’avère en fait assez sympathique. Il me demande ironiquement si je fais des progrès en navigation…
12 heures. Repas avec la présence du commandant. Coquilles Saint-Jacques, brochettes sauce curry avec haricots verts, mousse au chocolat (deux parts, il y a du rab). Au cours du repas, nous sentons le bateau se mettre à rouler fortement, les verres se mettent à glisser. Le premier lieutenant, qui passait par là, se voit interpellé par le commandant : “Vous avez changé de route?”. Le lieutenant répond par l’affirmative, mais le commandant savait déjà la réponse et le lieutenant de se faire enjoindre : “Veuillez, lieutenant, adopter une route plus alimentaire, comme sur nos anciens paquebots.” Trois minutes plus tard, le roulis disparaissait et l’on n’avait plus à surveiller du coin de l’œil son couvert et son verre.
Rocher de Gibraltar.
Guindeau.
13 heures. Café, passavant tribord, en regardant la côte montagneuse et sèche. Il commence à faire vraiment chaud. Petit chalutier. J’ai de sacrées courbatures aux mollets, roulis et tangage perpétuels font travailler les muscles.
Bateau en pêche.
14 heures. Le bateau somnole, bercé par le roulis. Pas grand monde dehors si ce n’est les gens de quart. Le temps est gris. Je vais prendre une douche en espérant ne pas prendre trop de gnons avec le roulis (imaginez vous nu, couvert de savon, sur un caillebotis mouillé, dans un bateau qui bouge fortement).
16 heures. Nous passons le rocher de Gibraltar. Pas mal de bateaux de pêche. Temps toujours couvert.
Calfat à l’œuvre.
Nettoyage des coutures.
Le commandant Marc Cornil.
Bateau de la compagnie polonaise Pol-Levant.
16 heures 30. Nous établissons la voilure. Un méthanier arabe nous salue de sa corne de brume. Nous lui répondons. Il nous dépasse en s’enfonçant dans la grisaille. Des dauphins sautent dans la houle devant le bateau. Même les plus blasés de l’équipage se précipitent voir. La présence amicale de ces cétacés si marins ne manque jamais de nous émouvoir. Yann désespère de réussir à en photographier un tant ils sont véloces. Nous faisons nos adieux à la Méditerranée. Bonjour l’Atlantique, bonjour l’Océan.
Coulée de brai.
LNG. Transport de gaz naturel liquéfié.
Au lointain, on peut distinguer le Maroc émergeant de la brume. Le trafic est important dans les parages. Grosses unités. La veille de cette nuit promet d’être attentive et intéressante.
Chacun vaque à ses occupations. Je range cargues, bras et écoutes. La cuisine s’active. On calfate sur le spardeck. Le second lieutenant range les cartes de la Méditerranée pour sortir celles de l’Atlantique. Le bosco garde un œil sur la voilure. Tout est clair, serein.
19 heures. Second service. Pizza, côtelettes et frites. Fruits. Film sur les cap-horniers au petit rouf.
20 heures 30. Bannette. Ça roule.
0 heure. Au large du cap de Trafalgar. Quart agité. Sous voiles (nous avons mis les huniers fixes et le faux foc), nous allons à 6-7 nœuds. Le bateau roule beaucoup. Le poste de veille est fatigant. Je me blesse un doigt dans l’échelle du gaillard.
4 heures. Couché.
© 2001-2011 Laurent Gloaguen | dernière mise à jour : octobre 2016 | map | xhtml valide.