Mercredi 25 octobre.
6 heures du matin. Quelques incertitudes sur mon voyage en raison de la grève SNCF. Je pense pouvoir atteindre Montpellier ; quant à rallier Port-Vendres, c’est une autre histoire.
Jeudi 26 octobre.
Il fait beau et doux. Un peu de brume matinale. J’arrive à Port-Vendres à 9 heures 30. Il est là, toujours aussi magnifique. Le second m’accueille en m’appelant par mon nom, ce qui me surprend un peu. Il m’explique alors que j’étais l’avant-dernier à embarquer, et qu’il avait donc une chance sur deux de tomber juste. Je remets mon livret de navigation et ma feuille d’embarquement. J’apprends qu’il y aura peu de stagiaires, seulement quatorze. Le second me met au troisième tiers (le vert), le même qu’à mon premier voyage. Je suis dans le même bloc de bannettes, au fond à gauche. Cette fois-ci, j’ai le numéro 31 (le 63 la dernière fois). Comme il n’y a personne au-dessus de moi, je prends la bannette supérieure pour y étaler mon barda.
Port-Vendres.
Au revoir !
L’équipage se réunit dans le grand rouf et le commandant Marc Cornil vient faire un petit discours de bienvenue. Il se satisfait de retrouver des visages connus. Le mien n’est manifestement pas dans sa mémoire.
Port-Vendres.
L’Aconcagua, Panama.
Le commandant nous explique qu’il y aura à bord Philip Plisson, photographe officiel de la Marine Nationale, qui compte réaliser un livre sur le Belem. Je retrouve un ancien stagiaire de mon précédent voyage. Puis le second nous rappelle les consignes de sécurité. Peu après 11 heures, nous appareillons avec un pilote à bord. Par trois fois, le Belem fait mugir sa corne pour dire adieu à Port-Vendres. Le petit port en est tout remué. Les gens sont aux fenêtres. Sur la digue, des personnes nous font de grands gestes d’au revoir. Sitôt passée la digue, le pilote saute dans son embarcation. Nous lui disons adieu d’un nouveau coup de corne de brume.
La pilotine.
Le premier service de repas est à 11 heures 30. Je suis affecté au service avec Maurice, le charpentier du bord. Au menu, moules marinières, poulet au curry et riz, fromage et tarte aux pommes. Après avoir essuyé et rangé la vaisselle, balayé la table de la batterie, je vais fumer une cigarette. Le vent est un peu fort et il faut choisir le bon bord si l’on ne veut pas se faire mouiller. Il n’est pas favorable, aussi nous ne pouvons établir aucune voile. Nous longeons donc les côtes catalanes au moteur. Le paysage des contreforts des Pyrénées est majestueux. Sur le gaillard, à la faveur d’un changement de direction, je me fais asperger par surprise. La Méditerranée m’a baptisé. Je me couvre car malgré le grand soleil, le vent transperce mes vêtements. Le vent forcit.
En route vers de nouveaux horizons…
L’heure calme après le déjeuner.
Nous croisons un bateau de pêche. Les hommes au travail s’interrompent un instant pour nous faire de grands signes puis se remettent à leur labeur. Nous doublons une pointe rocheuse qui se prolonge par un petit îlot. Déjà 14 heures. Mon pantalon n’est pas décidé à sécher, il va falloir que je me change. Pas beaucoup d’activité à bord. Alors nous regardons la mer, le bateau, tous hébétés encore de nous trouver là, sur le fameux Belem. Je ne bouderai pas mon plaisir.
Grand mât.
Embarcations.
Dunette.
15 heures. Les conditions devenant plus favorables, nous avons établi le petit foc, la grand voile d’étai, le foc d’artimon, puis la voile d’étai de hune, et enfin la marquise.
16 heures. Exercice d’abandon du navire. Une vedette de la Guardia Civil fait le tour du bateau pendant que nous sommes tous réunis sur le spardeck en brassière de sauvetage. Nous brassons les vergues et montons un peu de toile. Très physique en équipage réduit. Un peu crevé.
19 heures. Dîner. Deux absents à table, deux assiettes vides. Fatigue et mal de mer sans doute. Cigarette digestive sur la dunette. Belle nuit claire. Voûte étoilée. Cap à l’Est, 110.
21 heures 15. Dans mon sac à viande. Ça manœuvre sur le pont mais cela ne m’empêchera pas de dormir. Peut-être rentrent-ils la toile.
23 heures 50. Le bosco, Daniel, vient me réveiller dans la bannette. Il est temps de prendre mon quart. Sur le pont, une fouettée d’embruns achève de me réveiller. Café chaud et très sucré à la cuisine. Eva, la stagiaire allemande, qui finit son quart, se déclare “kaput, kaput”. Elle a effectivement l’air foutue.
Le temps est très clair. Mes pensées vagabondent dans les étoiles. La côte est visible à tribord et nous faisons cap au SW (230). Mon compagnon me laisse la barre pour aller dégueuler par dessus la balustrade. La lampe du compas tremblote, parfois s’éteint puis repart faiblement. Je pense à ceux que j’ai laissés.
2 heures. Je demande l’autorisation au bosco d’aller me coucher, je suis épuisé et mon genou faible me fait mal. Je prends quelques minutes sur mon sommeil pour écrire ces derniers mots.
© 2001-2011 Laurent Gloaguen | dernière mise à jour : octobre 2016 | map | xhtml valide.