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Rapport de mer du 21 février 1913

Rapport de mer déposé par le commandant Chauvelon devant le président du Tribunal de commerce de Nantes, le 21 février 1913.

« Décosté le wharf de Saint-Nicolas d’Aruba le 9 janvier 1913 à 6 heures et demie du matin et déhalé le navire en appareillage sur les bouées. Traversé l’anse à 9 heures et demie, le remorqueur accoste mais la brise étant fraîche et un grain venant, le Phosphaat reste en couple, attendant que la brise mollisse et que le temps devienne plus certain. Nous restons ainsi jusqu’à 10 h 35. À cet instant, la brise mollissant et le temps étant dégagé, la remorque est allongée et l’on fait route sur les indications du pilote. Au moment de l’engagement dans la passe, la brise fraîchit avec force ; le remorqueur peut tout juste nous traîner, mais il est trop tard pour retourner en arrière et force est d’essayer de continuer. La brise fraîchissant toujours et le remorqueur ne nous faisant plus aller de l’avant, une aussière est dégagée pour mettre par l’avant sur les bouées de la passe afin de nous empêcher de tomber sur le banc de tribord. L’aussière est raidie et l’on attend quelques instants, la brise à mollir. Il est absolument impossible de mouiller, la passe étant excessivement étroite ne permettrait pas de filer pour étaler et si le navire échouait, il pourrait le faire sur son ancre. Une deuxième aussière est mise par le travers pour tenir le navire parallèle au banc.

À 11 h 15, dans une accalmie, le remorqueur reprend la remorque qu’il avait été obligé de larguer pour ne pas tomber sur le banc et l’on essaie d’appareiller, la brise ayant molli un peu. Mais à peine le remorqueur a-t-il fait en avant que la brise fraîchit encore, prenant le navire en grand en travers. Celui-ci n’obéit pas à la barre et l’on se colle sur le banc sur presque toute la longueur du navire. Les aussières sur les bouées sont raidies à outrance aussitôt tenant le navire et on essaie de le déhaler en travers pour le décoller. Le pavillon est mis en berne et une bonne demi-heure après une équipe arrive de terre donner la main à déhaler. Le canot est envoyé chercher de fortes aussières et ce n’est qu’à 4 heures de l’après-midi qu’on réussit à sortir le navire et à l’amarrer en sécurité sur les bouées. Durant son échouage, le navire ayant talonné, il vaut mieux attendre le lendemain pour s’assurer que les pompes sont franches et voir si le navire a fatigué. Le 10 à 6 heures et demie du matin, rien d’anormal n’étant survenu, l’on fait les préparatifs d’appareillage.

Le remorqueur vient à 8 heures et l’on sort cette fois sans incident, route le long de la côte d’Aruba. Aussitôt doublée la pointe Nord, la brise force avec violence, le clin-foc déchiré, la mer est énorme, les coups de roulis vifs, brusques, les vents E.N.E. Le navire fatigue de toutes parts et est ébranlé. Du 11 au 14, le temps est à grains avec fortes brises variables de N.E.-E.N.E. La mer ne tombe pas, le coffre est toujours plein. Le 15 et le 16, temps orageux, vents de N.E. Le 16, aperçu Mona et débouqué le 17 au matin avec vent d’E.N.E. Jusqu’au 24, temps très changeant, mer toujours houleuse. À 10 heures du soir, aperçu le feu de Gibbs (Bermudes). Le 25, la mer grossit encore, la brise prend au S.O. et fraîchit avec force. Du 26 au 29, mer démontée, grosse brise de S.O. Le navire fatigue énormément, le coffre ne désemplit pas. Le 28, bridé les galhaubans du grand mât, sous les fixes et la misaine. Le 29, il vente coup de vent. En carguant la misaine, le maître d’équipage dans un violent coup de roulis, tombe et se fait une fracture à la jambe droite, il est transporté immédiatement dans la cabane. Le même jour, aperçu un espar et une bouée. Le vent de S.O. saute brusquement au N.E. Le navire masqué est le jouet d’une mer démontée, hachée, et l’on se demande si tout ne va pas arracher.

Un paquet de mer énorme couvrant tout le navire casse un carreau de la claire-voie du poste. Tout est plein d’eau partout. Une légère accalmie avec vent du Sud se fait le 31 janvier et le 1er février, mais le 2, la brise reprend avec force. La mer devient horrible. Une barrique, une vergue, des bordages et un arrière d’embarcation sans inscription visible ainsi qu’un aviron passent le long du bord Lat. 41°99’ N., long. 41°11’ O. Il vente tempête. Les 3 et 4, le temps s’embellit mais ne dure pas. Le 5, il vente ouragan. Le grand perroquet et la grand voile se déchirent en les serrant. La mer est démontée, tellement grosse que l’on gouverne en fuite, le cul dans la lame. Le pont ne désemplit pas. Jusqu’au 8, il vente grand frais. Les 8 et 9, forte brise de S.S.E. Du 11 au 15, vent de N.E. à E.N.E. Beau temps, faible brise. Le 18, la mer est démontée, les coups de roulis très violents. La brise est très variable, nombreux grains de neige. Le 19, même temps, puis le temps devient beau, la mer tombe.

Aperçu Groix à 1 heure de l’après-midi et pris le pilote à 2 heures et demie. Fait route suivant ses indications, à 5 heures et demie du matin, le navire est en vue du Pilier. Changé d’allure à 7 heures et demie et reviré à midi et demie, cette fois à toucher le Pilier. Grains de neige jusqu’à 3 heures et demie. Viré de bord à la pointe de Pont-château. Sur le point de mouiller aux Charpentiers, aperçu dans l’éclaircie le Saint-Hély et pris sa remorque pour aller en rade de Saint-Nazaire. Mouillé à 8 heures 10 du soir. Reçu la libre pratique à 10 heures. À 11 heures et demie, appareillé pour arriver à Nantes, amarré à la Prairie-aux-ducs à 6 heures du matin. »

[Source : CHA.]

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